Bordado Serrano

La broderie populaire de la Sierra de Francia, ou bordado serrano en espagnol, est une manifestation culturelle sans égal, qui rassemble dans son riche savoir-faire une série de connaissances et de techniques traditionnelles, ainsi que des éléments immatériels et symboliques qui dépassent ce qu’est un simple tissu brodé.

Expression de la créativité et de l’identité de la communauté de la Sierra de Francia, cette forme de broderie est transmise de mères en filles et/ou par des brodeuses qualifiées. C’est donc un trait d’union entre les femmes de différentes générations et classes sociales. La broderie de la Sierra de Francia est caractérisée par sa couleur et son expressivité, où les animaux, réels ou mythologiques, sont entrelacés dans une arabesque végétale bigarrée.

La broderie populaire de la Sierra de Francia est une manifestation culturelle de grande valeur patrimoniale grâce à sa transmission orale, à l’appartenance de ses membres à une communauté, aux actions réalisées et à l’importance de celle-ci. La diversité des symboles et des significations qu’elle emploie, sa survie à travers l’histoire et sa vitalité actuelle justifient également sa déclaration en tant que bien culturel.

Ce type de broderie populaire est considéré comme l’une des manifestations les plus authentiques de la culture immatérielle du patrimoine culturel de la Sierra de Francia de Salamanque. Cette broderie réunit un ensemble de caractéristiques techniques, plastiques et symboliques communes qui permettent de caractériser l’identité de ses peuples et de leurs individus. Elle est le résultat d’une identité culturelle dans laquelle différents peuples et cultures ont convergé depuis un passé lointain.

La broderie de la Sierra de Francia est une forme populaire de broderie, une manifestation culturelle unique qui réunit un ensemble de caractéristiques techniques, plastiques et symboliques communes. Cela constitue un univers artistique propre, créé par les mains des artisanes brodeuses et caractérisé par sa couleur et son expressivité. Les animaux, réels ou mythologiques, sont entrelacés dans une arabesque végétale bigarrée.

La broderie de la Sierra de Francia est un reflet fidèle de l’évolution des peuples et de leurs particularités uniques sur ces terres. Son iconographie révèle les influences d’anciennes civilisations orientales, de la Renaissance et des morisques, comme en témoigne le collier dans la représentation des animaux, les arabesques végétales et l’ horror vacui.

Les motifs utilisés traditionnellement dans les broderies sont reconnus par les habitants de la Sierra de Francia comme des symboles de leur identité.

L’horror vacui caractéristique de cette technique de broderie recouvre richement le tissu avec des grecques, des lambrequins et des motifs centraux. Le résultat est une arabesque végétale où une série d’animaux stylisés est insérée parmi les branches enchevêtrées.

L’absence de la figure humaine, de motifs géométriques, l’axe de symétrie de leurs compositions, ainsi que leurs techniques de comptage de fil et de point passé plat sont les caractéristiques essentielles qui définissent la broderie de la Sierra de Francia.

En tant qu’élément culturel vivant, la tradition de la broderie de la Sierra de Francia a subi une évolution naturelle surtout à partir du XIXe siècle et pendant la deuxième moitié du XXe siècle. C’est alors que de nouveaux matériaux, des colorants chimiques et des techniques sont introduits dans cette pratique, en renonçant peu à peu à l’horror vacui si caractéristique des compositions anciennes. Ainsi, elles sont devenues plus légères et sobres, le tout sans oublier l’unité dans leur processus de confection et leurs caractéristiques propres quant à la technique, aux motifs, à la composition et à la couleur.

De nos jours, la broderie populaire de la Sierra de Francia a pour noyau central les villages de La Alberca et de Mogarraz, au sud de la province de Salamanque. Il existe deux écoles de broderie avec des caractéristiques assez distinctes qui ont défini les caractéristiques communes pour les autres villages de la Sierra de Francia :

L’école de La Alberca qui est caractérisée par des compositions plus simples, avec un moindre degré de horror vacui et où prévalent les tons saumon.

L’école de Mogarraz qui emploie encore une myriade de couleurs traditionnelles, avec l’incorporation du saumon grâce à l’influence de l’école de La Alberca.

TISSUS ET MATÉRIAUX

Dans la Sierra de Francia, la culture du lin était l’un des principaux piliers de l’économie domestique. Sa vente et son exportation étaient étroitement liées à l’expansion et à la renommée des muletiers de la région.

Le lin et la laine étaient les matériaux de base utilisés pour obtenir le tissu. Entre le XIe et le XVIIe siècle, la broderie de la Sierra de Francia était réalisée sur des toiles de lin –taffetas régulier de lin– en utilisant les techniques de la peinture à l’aiguille, le comptage de fil et des points, comme le passé plat. Cela a donné lieu à plus de 30 points différents, en fonction, entre autres, de la longueur du point, de son inclinaison et de la relation entre les points eux-mêmes.

Jusqu’au XVIIe siècle, le fil de laine ou le fil peigné fin ont été utilisés, mais ils ont ensuite été remplacés par le fil de soie. Un peu plus tard, le coton est apparu, appelé coton mouliné, et, avec la soie, est encore le matériau utilisé actuellement.

Les différents tissus de base de la broderie ont été créés sur le métier à tisser traditionnel, qui est un métier à tisser horizontal connu sous le nom de métier de basse-lisse. Jusqu’au XIXe siècle, les métiers à tisser étaient faits à la main, et il y en avait environ 40 dans des villages comme La Alberca et autant d’autres dans le reste des communautés locales. Après la disparition des derniers métiers à tisser au début du XXe siècle, des tissus industriels fabriqués à partir d’autres fibres ont commencé à être utilisés.

TECHNIQUE

La broderie populaire est réalisée suivant une technique qui utilise deux procédés différents pour chaque pièce et pour chacun des motifs : le comptage de fil et celui de la peinture à l’aiguille.

La broderie commence par le dessin des motifs sur la toile en utilisant un cordonnet pour délimiter les contours. Après, vient le remplissage, avec une grande variété de points. Cela se fait en utilisant le point passé plat (dans lequel le fil passe par l’envers et le revers du tissu) et la technique du comptage de fil. Il existe 34 points différents comme le point d’épine ou de brique et d’autres qui ont leur propre nom, tels point de lomo, media yema, ojito entero, d’épine, de brique, las torrinas et asiento de silla.

COULEURS

Les couleurs de base traditionnellement employées sontle rouge, le vert, le jaune et le bleu. Combinés par paires, les combinaisons sont les plus courantes étant le jaune-bleu, le rouge-vert, le bleu et le noir.

Les polychromies sont rares dans les broderies les plus anciennes qui font partie des collections des musées. La couleur noire, qui était utilisée pour tracer le contour des motifs, est aujourd’hui employée pour broder les grandes compositions avec des motifs animaliers et végétaux ainsi que les manches des chemises brodées typiques du costume traditionnel de la Sierra de Francia, en particulier celles des femmes.

Depuis le milieu du XXe siècle, la polychromie s’impose et de nouvelles couleurs sont incorporées. À savoir, le mauve, violet, vert gazon, bleu cobalt, jaune doré, rouge feu et du saumon.

MOTIFS DE LA BRODERIE

Les principaux protagonistes de l’univers iconographique de la broderie populaire de la Sierra de Francia sont les motifs animaliers et végétaux. La fleur de lotus, la fleur de papyrus, la rose d’Assyrie, le palmier, la tulipe et la grenade ouverte ou fermée forment des grecques qui se lient et s’entrelacent avec un univers animal composé de lions, de cerfs, de poissons, de colombes, d’oiseaux femelles chantant, d’aigles à deux têtes et de dragons. Les oiseaux femelles chantant sont l’un des motifs d’animaux les plus fréquemment représentés. Dans leurs différentes versions, ils sont fréquemment interprétés comme le reflet des différents états émotionnels des brodeuses. Les représentations d’animaux mythologiques tels que les griffons et les dragons sont également très courantes, tandis que celles qui mettent en scène le coq, le papillon, le sanglier, le hibou ou le chien sont moins fréquentes.

À titre unique, la licorne apparaît dans une courtepointe du XVIe siècle appartenant à la « Collection textile pédagogique » de l’université Complutense de Madrid.

L’arbre de la vie est également un motif largement représenté dans des civilisations anciennes. Dans la broderie populaire de la Sierra de Francia, il apparaît émergeant d’un vase à double anse.

Un autre motif caractéristique est la encomienda, un élément circulaire composé d’éléments floraux et géométriques. C’est l’expression de la grande habileté de composition des maîtresses brodeuses, qui conçoivent des motifs uniques pour chaque broderie.

Aujourd’hui, bien que la signification symbolique de ces motifs se soit perdue en grande partie, leur iconographie est devenue une source de l’identité du village montagnard qui s’est étendue à d’autres domaines de la vie sociale, culturelle et économique de la région.

COMPOSITION

Les maîtresses brodeuses étaient chargées de la composition de la pièce qui serait ensuite exécutée par le reste des brodeuses. Elles sont les principales gardiennes de cette manifestation du patrimoine culturel immatériel, car elles jouent un rôle essentiel dans la transmission des connaissances et des pratiques de cet art, qui se réalisait traditionnellement au sein du foyer familial.

Les compositions sont caractérisées par leur symétrie. Les grandes toiles présentent une composition ordonnée en carrés à l’intérieur desquels sont insérés les motifs. Les plus importants sont toujours situés au centre et l’ornementation des pièces plus petites sur les bords. Ces compositions sont caractérisées par une tendance d’origine orientale, l’horror vacui, qui dans la broderie est accentuée par la grande taille des motifs. Parfois, les pièces sont dotées de bandes de tissus effilochés qui allègent la lourdeur de la composition. Celles appelées «soles salmantinos», des bandes effilochées en forme de soleil qui sont généralement placées aux extrémités. De même, la pièce est souvent finie avec de la dentelle ou des franges.

La transmission de la tradition se fait principalement par le biais des cours de formation et d’ateliers de sauvegarde dispensés par des associations telles que celle des artisanes de la Sierra de Francia et actuellement par l’organisation « Red Arrayán : culture, patrimoine et environnement » avec la collaboration d’organismes publics, à savoir les mairies, la communauté de la Sierra de Francia, le gouvernement régional de Castille-et-León, le gouvernement provincial de Salamanque et le ministère espagnol de la Culture.

Aujourd’hui, ces broderies ont, dans bien des cas, perdu leur fonction d’origine et sont devenues les vecteurs d’une tradition culturelle profondément ancrée. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la broderie, reflet fidèle de la hiérarchie sociale et économique de la famille, était destinée aux événements importants de la vie sociale et était liée à trois moments fondamentaux de la vie familiale : le mariage, les fêtes et les rites funéraires. La broderie populaire de la Sierra de Francia était principalement utilisée pour décorer le linge de maison.

Curieusement, la broderie populaire de la Sierra de Francia, même dans le cas de tissus rituels ou de nappes d’autel, n’utilise jamais de motifs chrétiens dans ses compositions. Néanmoins, s’ils étaient utilisés, ils seraient réalisés selon la technique de jours à fils tirés.

Actuellement, l’utilisation de la broderie s’est maintenue lors des fêtes et des processions, en décorant ou en ornant les balcons et les fenêtres lors des festivités et des fêtes patronales, comme la fête du Saint-Sacrement de La Alberca ou de Mogarraz et celle de Notre-Dame des Neiges à Mogarraz. Ces fêtes sont devenues des spectacles uniques pour la contemplation de ce type de broderie.

USAGES ET COLLECTIONS

Les tissus brodés sont considérés comme des œuvres d’art à entretenir et à protéger car ils ont perdu leur usage et leur fonctionnalité d’origine. Pour cette raison, les pièces les plus précieuses restent convenablement gardées dans les foyers, à l’intérieur de grands coffres. Leurs propriétaires les exhibent pour la fête du Saint-Sacrement, leur grand jour, où toute la place du village est décorée.

Il est également possible de trouver certaines des œuvres les plus représentatives et les plus anciennes de cette broderie classées dans différentes collections et musées : au musée ethnographique de Castille-et-León (Zamora), à l’institut Valence de Don Juan (Madrid), au musée national des arts décoratifs à Madrid ainsi qu’ à la « Collection textile pédagogique » de l’université Complutense de Madrid. Actuellement, onze pièces caractéristiques de cette broderie populaire de la Sierra de Francia sont encore préservées dans les fonds du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

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